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Stéphane Blet, itinéraire d’un dissident : entretien avec Alimuddin Usmani

Rivarol : La disparition de Stéphane Blet a fait beaucoup de bruit dans la mouvance « dissidente » en ligne. Accident ? Suicide ? Assassinat déguisé ? Pouvez-vous nous donner votre explication sur cette fin tragique ?

Alimuddin Usmani : Tout d’abord il faut dire que la disparition de Stéphane Blet a été un choc terrible pour de nombreuses personnes qui se situent en dehors du monde mainstream. C’était une personnalité de renom à laquelle les gens étaient très attachés. Il est donc compréhensible que sa mort brutale donne lieu à toutes sortes de spéculations. Après tout, il avait quitté brutalement la franc-maçonnerie et sa critique de l’idéologie dominante était pour le moins radicale.

Ceci étant dit, je privilégie l’hypothèse du suicide, même si on ne peut pas complètement exclure l’hypothèse de l’accident. Premièrement parce que l’enquête de la police genevoise n’a pas conclu à l’intervention d’une tierce personne et que, deuxièmement, plusieurs éléments, rapportés par des personnes qui étaient très proches de lui, montrent qu’il se trouvait dans un état psychique précaire les heures qui ont précédé sa mort. Les persécutions en raison de ses opinions, d’éventuelles trahisons ou déceptions ont pu également contribuer à cette fin tragique.

Stéphane Blet est tombé d’un balcon du cinquième étage à Genève. Or, un détail troublant laisse penser à quelque chose de prémédité. Moins de trois mois avant sa mort, il avait récité le poème de Baudelaire Le Balcon, dans une émission de télévision turque. Comme c’est souvent le cas chez les artistes, il avait une sensibilité exacerbée. Sa consommation excessive de tabac était aussi révélatrice d’un comportement autodestructeur.

Comment décrire la personnalité de Stéphane Blet ?

C’était avant tout une personnalité attachante et charismatique qui ne laissait pas indifférent. Sa compagnie était fort agréable car c’était un être profondément sociable. Il pouvait s’entendre avec un grand nombre de personnes tout en ne se privant pas de dire ce qu’il pensait. C’était quelqu’un d’entier et de passionné, que ce soit au niveau de la musique mais aussi de son engagement politique et militant. Cela peut paraître étonnant qu’il ait décidé de mettre fin à ses jours car il ne laissait pas transparaître une quelconque déprime auprès des nombreuses personnes qu’il rencontrait et fréquentait. En tout cas, l’émotion provoquée par sa disparition s’explique avant tout parce qu’il a marqué de manière positive le souvenir de ceux qui ont pu le rencontrer, le lire ou l’écouter.

Quelle était la place de la musique dans sa vie ?

Elle représentait évidemment une place centrale. La musique l’a accompagnée au cours de toutes les étapes de sa vie. Dès son plus jeune âge, il savait qu’il voulait être pianiste. Et il est effectivement devenu très vite un virtuose et l’un des meilleurs pianistes de sa génération. Il faisait corps avec la musique. Voici une citation du critique musical Pierre Petit qui date de 1987 et qui résume bien la réponse à votre question :

« Stéphane Blet, c’est plus que du simple piano, c’est la musique elle-même ».

Issu d’un milieu populaire, rien ne semble le préparer à sa future carrière de pianiste international . Quelles furent les rencontres qui ont marqué sa vocation de musicien ?

Je pense avant tout à sa rencontre avec le pianiste américain Byron Janis. Après avoir entendu l’enregistrement d’un récital donné par Stéphane Blet, qui n’était alors âgé que de 14 ou 15 ans, Byron Janis a vu en lui son fils spirituel et l’a invité chez lui à New York pour le prendre sous son aile et lui transmettre son savoir.

Dans mon livre, Stéphane Blet raconte que son père était assez inquiet de le voir partir à un si jeune âge mais qu’il n’y avait rien à faire pour le retenir. Comme vous le précisez, il est en effet issu d’un milieu populaire et il a su très tôt saisir les opportunités qui lui étaient offertes et devenir ainsi un pianiste de renommée mondiale.

Lors de son séjour de deux ans à New York, Stéphane Blet a aussi été l’assistant du virtuose Vladimir Horowitz qui avait été lui-même le père spirituel de Byron Janis. Je rappelle que Horowitz a été fortement marqué par sa rencontre avec le grand pianiste russe Scriabine et que Stéphane Blet est imprégné musicalement par toutes ces influences. Ces deux rencontres ont donc incontestablement contribué à renforcer sa vocation de pianiste.

Son parcours au sein de la franc-maçonnerie semblait l’avoir vacciné des errances de cette société secrète. Quelles ont été les raisons de sa rupture ?

Les raisons qui l’ont poussé à démissionner avec fracas se trouvent dans les hauts degrés de la franc-maçonnerie. Il appartenait à une loge du Rite écossais ancien et accepté qui compte 33 degrés. Avant de rentrer au trentième voire au dix-huitième, tout est opaque. Il a donc fui au moment où l’on allait le mettre au trentième degré. Il a perçu que ce degré représentait un rituel de vengeance talmudique où il faut symboliquement poignarder le roi et le pape notamment, ainsi que cracher sur sa religion. Il est resté dans cette société secrète pendant huit ans. Certains peuvent trouver que c’est long mais comme il le souligne lui-même, il n’est jamais facile de quitter une secte. Et son expérience lui a permis d’écrire un livre brillant et très bien documenté, intitulé Franc-maçonnerie, l’effroyable vérité.

Le thème du satanisme revient régulièrement dans vos échanges avec lui. Quelle était sa définition de cette idéologie malsaine ?

Dans la pensée de Stéphane Blet, le satanisme passe forcément par des rituels de sang, des sacrifices et par le renversement de toutes les valeurs. Être sataniste, c’est considérer que les sept pêchés capitaux sont les sept qualités principales qu’il faut posséder. Il considérait que le satanisme représentait le renversement absolu de toutes les valeurs chrétiennes ainsi que le mal à l’état pur.

Au niveau religieux, il semblait ne pas être véritablement dans une démarche spirituelle orthodoxe (son jugement sur le catholicisme est souvent empreint de remarques injustes et d’idées reçues). Blet est t-il un gnostique qui s’ignorait pour vous ?

Effectivement, il se considérait comme chrétien mais pas comme catholique. Il voyait le catholicisme comme un christianisme modifié pour des raisons politiques sous l’empereur Constantin Ier au IIIème siècle. Pour répondre à votre question sur le gnosticisme, il aurait fallu que j’aborde plus en profondeur cet aspect de la théologie avec lui. Le fait qu’il croit à la notion de réincarnation peut évidemment être déroutant pour les chrétiens. Ce que je peux dire, c’est qu’il n’appréciait pas la bigoterie d’une Marion Sigaut mais s’entendait en revanche très bien avec le pape Benoît XVI avec qui il avait entretenu des liens étroits. Il avait beaucoup d’estime pour ce pape qui avait notamment mis en garde contre les dangers du livre Harry Potter.

Il fût un militant antisioniste très actif. Pourquoi cet engagement aussi fort pour la Palestine et contre le Nouvel Ordre mondial ?

Il connaissait personnellement des gens qui vivaient en Palestine et qui subissent au quotidien l’occupation militaire israélienne et les persécutions qui en découlent. Cette cause lui tenait à cœur car il pensait qu’elle était symbolique de ce qui attend les gens en France. Stéphane Blet avait une profonde aversion pour l’injustice. Il craignait que les Français ne deviennent des Palestiniens dans leur propre pays, c’est-à-dire sous occupation du CRIF et de la LICRA.

Quant à son combat contre le Nouvel Ordre mondial, je peux aisément imaginer qu’il a lu, comme quelques-uns d’entre-nous, le livre d’Eustace Mullins, L’Ordre Mondial, et qu’il était très au courant par rapport à cette idéologie prédatrice et nuisible à l’humanité toute entière.

Quels étaient les rapports de Blet avec des personnalités comme Dieudonné, Alain Soral ou Emmanuel Ratier ?

Il était très ami avec Emmanuel Ratier et il a justement fait connaissance avec Alain Soral en 2015 à l’occasion de l’enterrement d’Emmanuel Ratier. Il le considérait comme le plus grand journaliste indépendant français. Son amitié avec Alain Soral n’était pas uniquement basée sur la convergence de leurs points de vue mais également sur le respect mutuel de leurs qualités réciproques. Concernant Dieudonné, Stéphane Blet était allé soutenir le comédien, en compagnie de Daniel Prévost, lorsqu’il a subi un lynchage médiatique. Leur amitié n’a fait que grandir au fil des années et a notamment permis à ce qu’ils collaborent sur un plan musical ou littéraire.

La découverte de la Turquie fût pour lui un éblouissement. On le sent totalement habité par ce pays. Qu’a-t-il trouvé de particulier à Istanbul ?

Istanbul est une ville envoûtante, chargée d’histoire millénaire. Je m’y suis moi-même rendu plusieurs fois ces dernières années et je comprends parfaitement l’éblouissement qui a été le sien. Stéphane Blet était passionné par deux instruments, le ney et le kanun dont il avait découvert la mélodie en 1992 dans la mégapole turque. Le raffinement de la nourriture et l’architecture de la ville ont également contribué à la fascination du pianiste pour cette ville. Selon une étude turque commandée par le Conseil de sécurité nationale en 2008, près de deux millions de Turcs auraient des origines slaves balkaniques. Un blond aux yeux verts comme lui pouvait donc parfaitement avoir un sentiment d’appartenance avec cette région.


Un entretien paru dans le numéro 3522 de “Rivarol” du 8 juin 2022.

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