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LE MASQUE DE DARK VADOR

Qu’est-ce qui nous touche au fond chez Dark Vador ? Son masque noirQui n’a rien d’un masque comme les autres ! Car cet écran ne cache pas seulement son visage, mais tout son corps, ce qui signifie certes sa langue et ses lèvres, mais aussi sa gorge, sa cage thoracique, son abdomen, son sexe, ses mains, ses jambes… Cela veut dire beaucoup pour nous… Car c’est avec tout cela qu’un homme s’exprime, et non simplement avec son larynx et ses cordes vocales : ce qui nous touche chez lui, c’est de deviner qu’il y a toujours quelque chose d’humain, suffoquant derrière cette chair en toc, quelque chose qui peine et s’y débat, qui parle contre elle.

Et si le masque de Dark Vador nous touche tant, c’est peut-être parce que ce qui nous arrive depuis quelque temps n’est pas très différent… A force de parler à travers un masque, quelque chose d’obscur a progressivement recouvert le corps de chacun de nous : au sens strict du latin, c’est un personnage qui chiffonne là ma langue et mes lèvres, mais comprimait déjà mes poumons, mon cœur, mes moindres muscles et mes nerfs les plus fins. Plus personne n’est vraiment son corps aujourd’hui : des chausses au mirliphone, il est saturé de pied en cap par une foule de camelotes… Au final, tous nos mots sonnent faux, vibrent d’une chair en toc, comme la voix de Dark Vador…

Pourtant, quelque chose d’humain cherche à s’exprimer, là, tout contre cette camelote : Dégageons nos oreilles de ces micro-crottes en plastoc, ouvrons les deux secondes, ouvrons-les bien grand, et suivons la pulsation : « Distantiel… présentiel… abstentiel » qu’entendons-nous crier du fond de notre chair : « Ciel ! Ciel ! Ciel ! » C’est de la peurà l’état pur ! La peur même que ces masquillons inspirent à mon cœur d’enfant, la peur d’un monde où nous parlerions tous comme si des lasers rouges, verts, bleus sortaient de nos langues : « Hybridation pédagogique des convecteurs de l’étoile noire ! Soldat, j’hybride mon cours ! Hybride ton cours ! » Alors au milieu de ces masques s’entre-crachotant leurs lasers, au milieu de ces masques blancs de l’empire, de temps en temps, un cœur se révolte et crie sous son masque noir : « Silence, la force est ici, je peux la sentir !», comme un enfant crierait contre son machin en tissu : « Chut ! J’y bride mon cœur ! »

J’habite ma langue maternelle comme mon corps. Elle fait chair avec mon être. Cela signifie beaucoup. Or Descartes lui-même a bien dit que l’âme n’habitait pas son corps comme un capitaine loge et commande en son navire… « Je » ne suis pas « dans » mon corps. Mais si je veux le traiter comme cela, comme un simple véhicule étranger, et tricher avec lui, le droguer, le doper, ou pire, le mutiler, il se vengera tôt ou tard… Il faut en dire de même de ma langue maternelle : ce n’est pas une boîte à outils, d’où je peux tirer et manipuler des mots, à mon gré, comme s’ils étaient des accessoires et des matériaux étrangers à mon corps, à mes poumons, à mon cœur, à mes cordes vocales, à ma langue… Je ne peux pas raboter de force « auteur » en « autrice », ou re-souder « chef » en « cheffe » sous prétexte de respecter « les femmes », qui ne m’ont rien demandé du reste. Je ne peux pas plus mutiler la chair des mots, pour y rafistoler des appendices en toc, comme Dark Vador se refait une beauté, après moult amputations : « En distantiel, en présentiel ; j’hybride mon cours. Allez les enfants, voilà la fiche de méthodologie générative et transformationnelle des compétences langagières, à intégrer dans vos neurones en distantiel » Si je ne respecte pas ma langue maternelle, son ordre, son harmonie, sa beauté, si je l’étouffe et la mutile comme le rustre malmène sa femme, comment puis-je attendre des enfants qu’ils l’aiment et la respectent à leur tour, et comment puis-je m’étonner de l’illettrisme des bacheliers, et de leur dégoût pour l’étude ?

Au fond, c’est le mythe de Faust qui refait surface sous Dark Vador : ce chevalier jedi est puni pour avoir voulu se rendre maître de la vie, et échapper, lui, sa femme et ses enfants à la mort. Faust, Frankenstein, Dorian Gray, Dark Vador… même thème ! Mais ce qui nous intéresse dans cette variation, c’est le châtiment, ce masque noir, parce qu’il veut tant cacher, qu’il finit par tout dire ! Certains ont voulu se rendre maîtres de nos mots, flétrir et châtrer nos langues, pour bricoler leurs quincailles. Gare à chacun de nous s’il laisse des mots étranges prendre le contrôle de son cœur, de ses poumons, par peur ! Gare à qui grime sa langue ; tôt ou tard, sa chair lui fera sévèrement sentir.

N’entendez-vous pas, sous ces masquillons, les cris de la mère apeurée : « Absten…ciel mon mari ! Présen…ciel mon mirliphone ! Distan…ciel mon enfant !»

Pierre Lesergent, professeur de philosophie

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