Un ami m’a rapporté l’autre jour son algarade avec un pro-machin : « Attention ma brebis, tu t’égares, tu t’imagines qu’on nous mijote des compotes, qu’on graisse les boulons d’une vilaine machination. C’est mauvais pour la République, la Planète, les droits de l’omelette et du masque, pour les droits de nos points retraite… » « Non seulement, il y a machination, ducon ! mais en plus, c’est même pas une « machination », puisque tu peux la voir la machine, à cœur ouvert, rien n’est caché, tous les plans de l’Étoile noire sont sur la table, t’es juste trop con pour pouvoir les lire ! »
Cet ami m’a bien fait rire, tout ce que je peux y rajouter, c’est ceci : oui, il y a peut-être bien une grosse machination contre nous tous, Peaux-rouges et Visages Pâles, mais le fait est que chacun peine à lire l’ordre dans ses pignons, ses arbres, et ses chaînes, car aucun de nous n’a fait assez de mécanique à l’école pour y voir clair dans tout ce cambouis ! C’est pourquoi je ne dois pas céder à la colère, et m’aventurer seul dans ses rouages… Il vaut mieux commencer par travailler sur sa propre « bécane », voir d’abord par où cette grosse machine m’a pris aux tripes!
Dark Vador, tout de noir verni, est bien le signe de notre petite machination, de notre auto- machination… Comme ce chevalier déchu, nous nous sommes machinés nous-mêmes, lentement, mais sûrement, méthodiquement, puis nous avons verni tous nos circuits, jusqu’au bout des ongles… depuis si longtemps que nous ne nous en souvenons même plus. Pourquoi ? par peur.
Nous sommes tous devenus, peu ou prou, des machines de guerre, des machines à gober et mâcher du machin : gober et mâcher des mots prêt-à-porter… Pour se faire peur à soi-même, certes il n’y a pas mieux : « l’éco-citoyenneté », « agir pour la planète ». Rien que ça… Quand j’entends qu’il faudrait agir « pour la planète », je ne peux m’empêcher de repenser au mythe de Faust, à la magie noire, et à ces vers fantastiques de Goethe qui font invoquer au savant fou l’ « Esprit de la terre ». Or, dès que la planète « apparaît », Faust, subjugué par son terrible visage, ne peut pas plus en soutenir la vue que Moïse celle du Seigneur… Alors, l’Esprit se moque du surhomme, de cet homme qui a prétendu péter plus haut que son cul, s’élever au-dessus de sa condition, dîner en tête à tête avec la terre : « Comme je me sens proche de toi, mon petit esprit…» Mais lui l’interrompt sec : « Ce n’est pas à moi que tu ressembles, mais au concept que tu t’es forgé dans ton esprit ! » Puis il disparaît ! Aujourd’hui que nous sommes dans le sous-humain, le buisson ardent est loin…
N’oublions pas que c’est Faust qui s’est grimé sous le masque de Dark Vador : comme le magicien noir, ce chevalier voulait défier les lois de la vie et de la mort, et sauver « le monde », « la république de la galaxie » d’un péril imaginaire… A la fin, c’est lui qui devient un monstre, qui se laisse machiner au point de n’être plus rien d’autre que son masque, et qui laisse son empire machiner une immonde lune, une étoile noire, pour détruire une petite planète bleue « Aldorande ».
A chaque fois que nous prétendons agir pour la planète, qui ne nous a certes rien demandé, je ne peux m’empêcher de rire de tant de sottise… Et surtout du vide spirituel dont elle est le triste masque. J’ai entendu un jour un jeune père reprendre sa gamine de six ans en ces termes « Arrête de crier, Clémence, éteins ta tablette, parce que, tu vois, ce que tu fais là, c’est mauvais pour la Planète » Rousseau se moquait à juste titre des parents qui voulaient farcir les jeunes cervelles d’Idées métaphysiques et morales hors de leur portée : l’Être éternel et infini, le péché originel. J’ai du mal à croire que remplacer le Notre Père de l’Église par le Notre terre de Faust soit un grand progrès…
Qui sommes-nous pour faire parler la planète, pour la tutoyer à tout bout de champ, nous qui ne pourrions la soutenir face à face ? Croyons bien qu’elle ne nous a pas attendu pour « se sauver ».
J’entends aussi d’autres gros mots à se faire peur : résister à l’« Empire », ou au « Nouvel Ordre Mondial », et nous replongeons en pleine guerre des étoiles, nous nous grimons en « maquisards », en « rebelles ». « La désobéissance civile »… Je veux bien… Mais à quoi bon mille-feuilleter la pâte de nos misères ? Serons-nous bien heureux d’effeuiller nos maux mot à mot ?
Nous n’avons pas à nous créer de nouveaux faux problèmes, une méthode pour apprendre à « résister », à « désobéir ». Apprendre à désobéir, dernière vanité… Il est peut-être temps pour chacun de désapprendre à obéir bêtement, c’était déjà le « truc » d’Alain. C’est le seul pour lutter contre ça.
Pierre Lesergent, professeur de philosophie