Carmen Daudet a travaillé auprès d’enfants entre 3 et 11 ans et a longtemps gravité dans la sphère de l’éducation, que ce soit par ses études, ses relations ou par le biais d’associations dans lesquelles elle s’est investie. Mère de deux enfants, elle a pratiqué elle-même l’école à la maison et propose, dans son livre paru chez Kontre Kulture, plusieurs piste pour réussir cette démarche.
R/ L’éducation à la maison est un défi pour de nombreux parents. Quels sont les motivations des familles qui font le choix de cette démarche ?
Il me semble que l’un des principaux motifs de cette non-scolarisation qui gagne peu à peu du terrain, réside dans le besoin de passer plus de temps avec ses enfants, pour les voir grandir et être pleinement acteur de leur éducation et de leur instruction, ce qui permet aux parents de maîtriser les valeurs transmises par l’intermédiaire des apprentissages ; ceux qui font ce choix difficile souhaitent en outre ne plus dépendre, pour la prise en charge de ces apprentissages, de la plus ou moins grande bienveillance d’un enseignant, forcément aléatoire, ni des lubies de ministres successifs qui ont oeuvré à faire de l’Éducation Nationale une fabrique à crétins. Beaucoup de parents ne croient plus en la promesse de l’ascenseur social, tant les programmes ont été allégés des contenus les plus essentiels (compter, lire, écrire, formuler un raisonnement, etc.), sacrifiant ces savoirs, pour les besoins de l’intégration,sur l’autel de l’antiracisme, du féminisme, de la tolérance, de l’égalité et de la sacro-sainte laïcité.
Comment organiser au mieux ce passage à l’éducation dans le cadre familiale. Existe t-il des obstacles institutionnels ?
En 2019 l’école est devenue obligatoire à partir de trois ans, ce qui correspond à l’entrée en Petite Section de Maternelle. Les parents qui souhaitent instruire leur enfant en famille doivent en informer à la fois la mairie de leur Commune, et l’Inspecteur de l’Éducation Nationale dont ils dépendent – qui leur rendra visite au moins une fois dans l’année. Cette formalité accomplie, ils sont entièrement libres quant aux moyens mis en œuvre pour éduquer et instruire leur progéniture. Ils peuvent par exemple s’appuyer sur les cours du CNED, ou sur des manuels scolaires plus ou moins récents ; ils peuvent également puiser sur Internet des supports et contenus d’apprentissages, mais ils ont aussi la possibilité de s’affranchir entièrement de ces ressources pré-existantes et de concevoir de A à Z leur propre programme.
Je conseille évidemment aux parents qui se lancent dans cette aventure de s’y préparer d’un point de vue matériel et « intellectuel » : ils doivent disposer d’un fond conséquent de jeux éducatifs, livres et manuels, et connaître les principales étapes du développement infantile, à la fois psychologique et physiologique. Bien sûr, quoiqu’ils pensent des programmes de l’Éducation Nationale, ils doivent en avoir pris connaissance, pour ne pas être mis en difficulté le jour où ils devront rendre compte à L’Inspecteur de ce que leur enfant aura appris auprès d’eux. Cette formalité institutionnelle ne sera pas un obstacle si elle a été correctement préparée, car très souvent les enfants non scolarisés sont bien plus éveillés et cultivés que ceux qui passent six heures par jour entre les murs d’une école !
Quels sont vos plus grandes préconisations pour les familles ?
Pour ce qui touche à la tranche d’âge traitée dans mon guide, à savoir les 3 à 6 ans, le plus important à mes yeux est la patience, et la compréhension dont feront preuve les parents à l’égard de leur enfant. Ce qui n’empêche en rien la fermeté et la discipline, autres points importants à appliquer dans le cadre de l’instruction en famille. Et bien sûr, je préconise la lecture de mon guide « J’apprends mieux à la maison » !
Que pensez-vous des méthodes d’éducations alternatives ( Freinet, Montessori) à la mode actuellement ?
Il y a bien un effet de mode autour de ces pédagogies, et plus généralement autour de tout ce qui touche à l’éveil et au développement infantile ; je ne déplore pas ce phénomène car il me semble bon que l’enfant, sans être considéré comme un roi, soit un sujet de réflexion pour ses parents : l’éducation qu’il reçoit, les jeux et livres qui l’entourent, la façon dont on lui parle, tout ceci doit avoir été choisi et donc réfléchi en amont.
Maria Montessori a popularisé le constat selon lequel un petit enfant apprend essentiellement par l’intermédiaire de ses sens, et qu’il a donc besoin de grandir dans un environnement riche en découvertes et manipulations. Elle a également fait ressortir l’importance de la répétition, élément clef de l’apprentissage encore bien trop négligé dans les écoles maternelles. Je suis pour ma part convaincue de cela, j’encourage donc vivement les parents à s’informer sur ce courant pédagogique, et à mettre en pratique à la maison les principaux préceptes de Maria Montessori auprès de leur petit. Nul besoin de dépenser des sommes folles dans du matériel labellisé ou dans des établissements dits Montessori – pour la plupart autoproclamés tels. Une fois que les parents se seront appropriés les idées principales, ils seront en mesure d’adapter leur propre environnement, de détourner certains jouets, d’en fabriquer d’autres à peu de frais.
Quant à Célestin Freinet, ses réflexions me semblent tout aussi pertinentes que celles de Maria Montessori, ayant en commun cette volonté de motiver l’enfant, de le rendre acteur de ses apprentissages, en le laissant libre d’explorer ses propres centres d’intérêts – principe central du courant dit de l’éducation nouvelle. La pédagogie Freinet consiste essentiellement à placer l’enfant en situation de recherche documentaire puis de production d’écrit, sur un sujet qu’il aura choisi (le journal de classe en est l’illustration la plus célèbre). Si la coopération et le travail de groupe semblent difficiles à recréer au sein du foyer, les parents peuvent néanmoins encourager leur enfant à être autonome, et à explorer les divers outils dont il dispose afin de mener à bien ses recherches et de répondre seul à ses propres questionnements.
Pour conclure : tout n’est pas à rejeter dans la recherche sur le développement cognitif de l’enfant ; depuis plus d’un siècle pédagogues et scientifiques se penchent sur le sujet, élaborent des thèses, tâtonnent… tout ceci est passionnant, même pour un simple parent. Il faut bien sûr lire ces écrits en gardant l’esprit critique : il ne s’agit pas de sciences exactes et ces mouvements ne sont jamais à l’abri de l’influence des modes. C’est pourquoi le plus profitable reste sans doute de découvrir les principaux courants de pensée et leurs représentants (Montessori, Freinet, Piaget, mais aussi Rousseau et Rabelais!) et d’appliquer ce qui nous semble le plus pertinent ou le plus proche de notre pensée, sans déléguer à un « spécialiste » – qu’il se fasse appeller professeur, animateur, éducateur ou autre – le soin d’éduquer et d’instruire notre marmaille.
L’éducation à la maison c’est aussi une forme d’autonomie par rapport au système. Pensez-vous que ce modèle éducatif renforce l’esprit de liberté des enfants comme des parents ?
Il me semble en effet, d’après les témoignages que j’ai pu entendre ou lire, et d’après ma propre expérience, que les familles pratiquant l’école à la maison instaurent au sein du foyer un climat de grande liberté – que ce soit vis à vis de la gestion de son temps, des méthodes d’apprentissage mises en œuvre, et bien sûr des contenus transmis. Ce contexte est sans doute très favorable à l’émergence chez l’enfant d’un esprit critique et d’une confiance en soi affirmés.
Cependant, cette autonomie par rapport au système public est relative dans la mesure où des contrôles sont effectués pour s’assurer que les programmes fixés par le gouvernement sont mis en œuvre au sein des familles. Suite à plusieurs avis défavorables de la part de l’Inspecteur, les parents peuvent se voir contraints de rescolariser leur enfant. La coercition n’est jamais très loin.
Et puis, ce parfum de liberté, si peu y goûtent, tant les contraintes financières sont lourdes : la CAF ne compense la perte d’un salaire complet qu’en attribuant un forfait (nommé Prepare)de 400 € mensuels, et les allocations familiales pèsent encore moins… c’est pourquoi l’instruction en famille concerne principalement les foyers aisés, ou au contraire ceux dont les contrats à temps partiels et les petits salaires sont équivalents aux faibles aides de l’État.
Ainsi, il semble malheureusement que ce soit la classe moyenne – la plus importante en nombre – qui paie le plus lourd tribu pour pouvoir s’affranchir de la mainmise qu’exerce l’État sur sa progéniture !
Un grand merci pour vos réponses
A lire d’urgence : Carmen Daudet, J’apprends mieux à la maison, Kontre Kulture, 186 pages, 14,50 euros.
Entretien donné pour Rébellion, disponible sur le site, ici