Alain Soral n’est pas, contrairement à ce que certains semblent penser, un amuseur public monomaniaque et il le prouve avec son dernier essai Comprendre l’époque, qui n’est pas réellement une suite de Comprendre l’empire, quoiqu’il en soit complémentaire.
Soral s’attèle ici à analyser l’idée forte du monde actuel : l’égalité, idée « qui se traduit le plus souvent dans la pratique en absurdité, voire en son contraire. » Au nom de ce dogme, érigé en véritablement religion, on justifie toutes les inégalités.
Pour démontrer l’évolution de ce concept et comment il est devenu l’alpha et l’oméga de la morale publique, il retrace son historique et plus généralement l’histoire des philosophies dominantes. Puisant à même la pensée de René Guénon, il exprime une vision à contresens de Darwin et des progressistes, de l’Hyperborée à notre décadence actuelle, plutôt que de la Lucy primordiale à un achèvement de l’histoire. Il ne s’agit pas d’une évolution du genre humain, mais au contraire d’« une lente dégradation » qui nous a amenés dans un premier temps à la Révolution française, victoire de la bourgeoisie et du mercantilisme sur les valeurs ancestrales aristocratiques et spirituelles. Par la suite, l’égalité toute théorique de l’ordre des bourgeois fut poussée plus loin par Marx qui voulait en faire une égalité réelle, avant que tout n’explose avec la post-modernité et aujourd’hui avec le Grand Reset, « un état d’urgence antiterroriste, écologique et sanitaire, reconductible à souhait sans consultation, qui a tout dans les faits du coup d’État tout court! »
La constante au travers ce méandre intellectuel reste « l’égalité », concept assez vague et élastique pour tout englober.
Il note aussi que si les sociétés du passé étaient relativement aristocratiques, elles étaient ethnocentriques. Avant qu’on cherche à imposer l’égalité à tous les habitants du globe, les peuples vivaient avec leur propre système de valeurs et croyances, auquel ils adhéraient sans chercher à l’exporter. Seulement, la quête égalitaire va de pair avec une recherche d’universalisme transcendant le cadre de la nation. Dans cette double quête, « le christianisme inaugure, l’islam imite et s’oppose, les droits de l’homme révolutionnent, le Marché libéralise et le communisme prétend achever… »
Soral aurait pu ajouter qu’à l’égalité des chances promue par la Révolution française s’est substitué le concept d’égalité des résultats, base de la postmodernité. On ne tente plus d’offrir des chances de réussite égales, on s’attend à ce que chaque groupe réussisse de la même façon, base même du mouvement Black Lives Matter, qui a pour postulat que si les chances étaient réellement équitables, les Noirs et les Blancs obtiendraient les mêmes résultats. Ces deux groupes, pour ne mentionner qu’eux ayant des degrés de réussite différents, il ne peut s’agir que de la résultante d’un racisme systémique, minant les opportunités des Noirs.
Qu’a Soral contre l’égalité? Pourquoi s’opposer à la vertu? D’abord parce qu’il s’agit du culte de l’indifférencié, mais aussi de la substitution de la foi par la Raison, déesse laïque qui ne souffre d’aucune concurrence. Il explique que l’égalité est « parfaite sur le plan théorique, mais (…) se retrouve dans le monde humain face à une contradiction
pratique : cette volonté de domination pour le partage et l’égalité exigeant une société de saints, et qui plus est désormais de saints laïcs. »
Dans les faits, cela nous a menés à une société « sous la domination du Marché triomphant, désormais système-monde hégémonique et planétaire… » Et osons le dire, inégalitaire comme pas un. De se draper de l’égalitarisme ne fait qu’occulter les inégalités bien réelles. Un George Soros qui assis sur un pactole évalué à des milliards de dollars se permet de faire la morale aux gens de la classe moyenne représente le comble de cette hypocrisie.
Bien que l’ensemble soit fort intéressant, je me permets une critique : si l’auteur fait un survol relativement exhaustif des différents courants de pensée et de ses manifestations pratiques, cela présuppose une certaine généralisation qui force à couper les coins ronds et parfois sauter du coq à l’âne. Bref, ce n’est pas une lecture qu’on peut effectuer en diagonale ou sans effort et elle nécessite certaines connaissances antérieures.
Rémi Tremblay
Article paru dans la revue québécoise Le Harfang, vol 10, n°1 automne 2021, p. 53.