Scènes et doctrines du nationalisme, que Maurice Barrès écrivit en janvier 1902, dresse les portraits d’hommes courageux (Paul Déroulède durant l’affaire Dreyfus, le marquis de Morès dans sa mortelle campagne nord-africaine…) et peint des circonstances avec une passion et une justesse qui parle autant au cœur qu’à l’intelligence. Les lignes de ce nationaliste conséquent aideront les plus sceptiques à expurger leurs pensées réflexes concernant ce principe politique démonisé, et retremperont la volonté des autres, ceux qui ont encore un amour de la France.
Nous abordons au cours de notre lecture le culte de la terre et des morts, si cher à l’auteur, et cette énergie puisée dans le passé, cet élan bien spécial qui prend racine dans le Peuple et lui donne une voix, restitue son âme et son honneur bafoué par une République ploutocratique malade de son parlementarisme. Barrès nous donne ses vues sur le fédéralisme, la religion, la notion de race, de racinement, et par là offre cette représentation du monde réellement généreuse sous la dureté des principes, celle qui demande à démêler les mensonges, à mieux comprendre les autres et soi-même, à développer son être social pour le bien commun (beau et utile sacrifice !), à résoudre les choses par la lecture du passé, sans se laisser intimider ou aveugler par nos maîtres.
L’ouvrage, véritable trésor de vertus et de force morale, livre un constat parfois pessimiste, mais dans un sens rassurant : la France dispose face à l’histoire d’un espoir récurrent – car fondamental –, et il réside dans le nationalisme. Ce dernier remet toujours, pour ainsi dire, l’église au centre du village. Nous avons dit face à l’histoire car le nationalisme reste là, vivace, attentif, niché dans les limbes de l’inconscient individuel et collectif, le plus souvent anesthésié par les efforts des forces d’argent et l’individualisme – mais prêt à éclore.
Le nationalisme a pour fonction de penser par rapport à la nation, et à ses intérêts objectifs. Mais de nos jours, même si la pensée française, quoique moribonde, vit et s’exprime à travers quelques belles âmes, se déclarer nationaliste ne va pas sans un pénible travail de destruction. Il faut tuer ce palais des délices où chacun est son propre dieu, commettre un demi-suicide, identifiable a posteriori comme de la pure hygiène mentale face au prêt-à-penser libéral consumériste.
La pensée française est le fruit d’une longue histoire et de mouvements positifs malgré leurs apparentes oppositions et dispersions. Son âme est automotrice. Et elle forge notre imago, nous structure sans que nous nous en apercevions. Elle est ce fossé entre la réalité personnelle perçue, fruit inconscient de notre faculté d’interprétation, et la réalité des médias, dont la propagande est une insulte à notre esprit critique et à notre intelligence, bref à notre raisonnement. Elle perdure malgré les tentatives de transformations, qui la malmènent, l’égratignent, mais in fine la renforcent, tel un forgeron épurant le métal destiné à chausser le cheval qui doit aller loin. Elle ne s’encombre ni des bouffissures des intellectuels, ni encore de l’endormissement voulu par les gouvernements prêts à toutes les compromissions. Ses principes recouvrent des réalités sentimentales et physiologiques aussi simples que profondément culturelles et cultuelles ; saines ; en un mot naturelles. Elle est le bon sens appliqué au politique. Sa dimension politique même est comme une incidence, une force répondant à un besoin.
La pensée française est ce sanctuaire qui, de jardin, devient une arme. Le rapport à la terre et aux morts nous rappelle inlassablement à nos devoirs de pragmatiques, bref de quêteurs et diseurs de vérités.
Maurice Barrès montre que des hommes – Auguste Comte et ses successeurs – ont été les symptômes d’un mal lui aussi récurrent, qui vient grignoter les valeurs et l’énergie françaises : hier l’affaire Dreyfus – à la fois outil de décérébration et de soumission –, aujourd’hui l’affaire Charlie Hebdo, continuation de la campagne de sensibilisation au forceps contre un antisémitisme fantasmé, créé de toutes pièces par nos élites pour cacher les ségrégationnismes réels (raciaux et de classe) – ségrégationnismes que le fonctionnement de notre système implique depuis la Troisième République, nous le constatons ! – dernière étape d’un long processus d’instillation d’une terreur, celle « de dire le contraire de ce que l’on voit à la télé », qui, sous le masque de la « défense du peuple » contre l’ennemi, « le terrorisme », brandit une menace imminente : la matraque.
Le livre permet de saisir que, dans le combat à mener pour la France, l’être social se distingue opportunément de l’homme privé, plein d’émotions et d’envies contraires qui handicapent ses élans. Le nationaliste se sacrifie en quelque sorte à son corps défendant, car sa cause l’y pousse sans qu’il ne puisse résister. L’homme de bonne volonté et avide de justice porte son regard au loin, au-delà du court-termisme électoraliste. Il ne regarde pas qui il est, ou ce qu’il pourrait être si… il n’est pas là pour la gaudriole ou servir l’aveuglement de son ego dopé aux pubs ou aux films made in USA. L’être social est la France. Il annonce ses intentions, enjambe la trahison et regarde le mal en face.
Le monde dans lequel nous vivons nous pousse à nourrir cet ego, à le choyer. L’« être social », pour qui veut s’impliquer dans les idées et défendre une vision de la France différente de celle que l’on nous serine, implique trop de responsabilité, trop d’efforts et de dangers. Elle a pour moi à voir avec une posture à la fois humble et solennelle.
J’ai toujours eu en moi ce que Barrès nomme « le culte de la terre et des morts ». Toujours. Pour la première fois, je peux écrire sincèrement que je me reconnais dans un mode de pensée. La verve de Barrès redore la force morale, cimente le palais des connaissances, achève les fantasmes idiots nés du catéchisme télévisuel. J’accueille ce cadeau providentiel avec reconnaissance et bienveillance, car il m’aide et m’ennoblit sans malmener ou faire mentir ma conscience, sans tenter de pétrir mon âme a priori. Bref, il motive et ressource sans rassurer : droite ligne. Écoulement naturel.
Nous sommes les héritiers de Barrès… mais le nationalisme n’est pas considéré avec toute la bienveillance et la reconnaissance qu’il mériterait. On a galvaudé son nom et ses buts, alors qu’il porte en lui la droiture, la noblesse et la volonté d’œuvrer pour le pays. Il porte l’histoire et les mouvements profonds d’une intelligence vive et naturelle, qu’on dirait aujourd’hui « populaire », mais qui est sacrée, simple et franche, et qui fait, au regard du nombre et des attentes, autorité. Le nationalisme vit par le peuple. Il ne se forge pas des outils pour dévier ses colères et l’étouffer économiquement. Il est le nerf vif et précieux qui, en passant du cœur du peuple au cerveau de ses théoriciens, active le bras de la justice immanente (pour reprendre une expression souvent utilisée par Alain Soral). Tout lui donne aujourd’hui raison. La mission de Kontre Kulture et d’Égalité & Réconciliation est de former, de réinformer, voire de rescolariser (sans condescendance ronflante, s’entend), de rendre au peuple une conscience politique, de lui donner les armes pour défendre ses intérêts, de mieux se comprendre, mieux vivre avec soi-même et les autres. Et ce livre de Maurice Barrès, ma foi, remplit bel et bien toutes ces conditions…
On sent d’ailleurs, en écoutant Alain Soral, qu’il a médité les écrits et le parcours de Maurice Barrès. En tout cas, il est possible de déceler une foultitude d’analogies, que ce soit dans les motifs ou dans l’itinéraire que ce dernier a suivi : ses relations avec l’Action française et la Patrie française, leur naissance, l’ardeur, l’enthousiasme, leurs exigences, la hauteur de vue, la nécessité de la fermeté envers les ennemis de la France, force matînée de distance affable contre les acteurs envers lesquels Barrès est reconnaissant (Alain Soral me semble choisir une distance plus guerrière, car il sait, me semble-t-il, que les artisans du nationalisme d’hier, dont il est l’héritier, ne sont pas les girouettes facebookées d’aujourd’hui, et que le combat politique et/ou idéologique est une course de fond qui ne s’entretient pas avec des paroles caressantes et des marques de tendresse… tout ce qui conforte, berce, puis endort, est dangereux pour l’intérêt public et rend poreuse l’armure que la meilleure volonté s’est forgée fasse aux manipulations. Sa force est nécessaire, et c’est souvent à tort qu’elle est vue comme de l’orgueil mal placé…).
Barrès dit : « Quelle médiocrité doctrinale chez nos adversaires internationalistes ! Leur bagage ne peut plus servir que pour les comices agricoles. C’est un orphéon démodé. »
Aujourd’hui, la médiocrité doctrinale est toujours là, mais les outils de distillation sont monstrueusement puissants. À nous d’appliquer les conseils de Barrès et d’agir humblement, localement (cf. défense du régionalisme, de la famille, etc.) pour espérer renverser la balance, car la faire pencher ne sert à rien : nos internationalistes occupent ses deux plateaux (métaphore due à Barrès… je ne tente pas d’en voler la paternité !).
Et aux antimilitaristes primaires d’aujourd’hui, nous opposerons le doute exprimé par Barrès lui-même : « Nous ne pensons pas que, par des élections d’arrondissement, on réussisse à libérer ce pays. »
La suite complète le propos approché plus haut sur le rapport intime, physiologique, que le nationalisme implique dans la recherche de sanité de notre conscience : « Si le soldat et la circonstance favorable ne surgissent point qui dégagent une France harmonieuse, dégageons du moins cette France en nous-mêmes : ce sera déjà un bonheur si notre cerveau échappe à cette anarchie, à cet insupportable désordre moral où nous vivons tous depuis des années. (…) Ces notions d’amour et de continuité, c’est tout le ferment du nationalisme. Excité par de telles vérités, je hausse la voix et je m’écrie qu’elles valent pour les étrangers aussi bien que pour mes compatriotes et qu’ainsi je ne méprise aucune nationalité, mais que mon devoir est envers mes pareils. »
Point de haine de l’autre, chez Barrès. Pas de racialisme non plus. Il le dit : « Disons-le une fois pour toutes : il est inexact de parler au sens strict d’une race française. Nous ne sommes point une race, mais une nation ; elle continue chaque jour à se faire et sous peine de nous diminuer, de nous anéantir, nous, individus qu’elle encastre, nous devons la protéger. »
Malheureusement, cette vision n’est pas partagée par nos « intellectuels ». Monsieur Zemmour nous dit par exemple, avec une tranquillité agaçante : « Mettez des Arabes et des Français ensemble, ils se sépareront comme l’huile et le vinaigre ! » Je réponds : mettez un peu de moutarde dans ce mélange d’huile et de vinaigre, et comme toute bonne vinaigrette, en dosant, l’émulsion prendra. Dieudonné et Alain Soral sont cette moutarde, et fort heureusement, cela pique le nez des Zemmour, et leur tire des larmes…
« On ne peut pas impunément déchaîner sur un pays la tempête. « Levez-vous vite, orages désirés… » Que leur mensonge foudroie ceux qui parlent d’apaisement. »
Cette phrase résonne, le lecteur s’en sera rendu compte, comme l’indignation d’une personne qui n’est pas Charlie…
Scènes et doctrines du nationalisme a d’ores et déjà sa place dans votre bibliothèque de combat. Bonne lecture !
Sébastien Jean