Panier

Votre panier est vide.

Menu

LES MASQUES DE FER

Derrière le masque de fer… Je n’en sais pas plus que n’importe qui… Et ce n’est pas ça qui compte au fond ni qui, ni pourquoi, ni comment… Mais il y a toujours de quoi méditer sur les légendes… Cette face cachée de la Bastille, cet inconnu qu’ont festonné nos Gavroche, aujourd’hui, c’est nous ! Cette fâcherie mondiale, je ne sais pas trop comment les Allemands la vivent, les Arabes, les Russes, les Américains… Et je m’en fous… Je ne vous parle pas de vitraux-gigogne : d’écran, sur écran, sur écran, je vous parle de ma banlieue, d’où j’étouffe, masque sur masque, sur masque. Je me suis retrouvé coincé ici, comme vous tous, dans ce coin où je parle cette langue spectrale que nous n’osons même plus nommer, où je vois et sens ces hommes et ces femmes qui ne savent même plus ce qu’ils sont, et qui traînent pourtant, à leur cœur défendant, des légendes au fond de leur sac.

Le roitelet de Dumas ne peut pas supporter son double… Et derrière l’intrigue, il y a peut-être de quoi méditer sur cette mauvaise étoile que tous les jumeaux se renvoient comme une balle. Comment supporter de se voir « soi-même » vivre d’une autre vie ? Mon visage, c’est tout ce que j’anime du foyer de mon cœur. Comment supporter de voir ce que je suis au monde s’abreuver d’un autre feu ? Pour Castor comme pour Pollux, tout face-à-face est pestiflore. Le romantisme brode une dentelle sur ce patron, et le lecteur s’y prend, comme toujours… Et s’il y avait eu deux visages pour le trône… Il faudrait à tout prix cacher l’autre…

L’autre jour, j’ai rencontré un policier, en sortant de la gare, avec tous ses collègues, qui me disait de mieux ajuster mon machin ; alors je l’ai enlevé, je lui ai parlé pour voir, comme ça, et je lui ai demandé si nous pouvions discuter de vive voix, face à face. Cela l’a beaucoup choqué, je crois que cette seule idée d’être nue face, j’entends d’oublier son état, ne serait-ce qu’un moment, cette simple idée le mettait dans la torture la plus atroce. Il m’a répondu par son dura lex, sed lex. C’est la loi, mon petit monsieur… Le célèbre Eichmann ne « raisonnait » pas autrement… Mais il y a un petit détail que nous, les Français, avons bien oublié depuis le temps. L’État, ce n’est plus le « roué », en principe, c’est « nous » ; la loi, ce n’est rien que « nous »… Ce ne sont pas des lettres mortes, gravées dans un obscur grimoire que seuls des « experts » juristes seraient chargés d’interpréter à notre place pendant que nous lapons nos lèche-vitraux ; c’est nous et nous seuls qui nous obligeons à porter un machin partout et tout le temps sans nous poser de questions, ce qui est évidemment laid, bête et mauvais… En nous embastillant à ciel ouvert, c’est notre propre loi que nous formons ! Il n’y a aucun autre responsable à décoller, nous l’avons voulu depuis déjà deux siècles… Et nous n’avons pas besoin d’avoir lu Platon pour sentir que « la fin ne justifie pas les moyens », et que du laid, du bête et du mauvais, ne sortent jamais le beau, le vrai, le bien. Alors, pourquoi nous enferrons-nous de plein gré, pourquoi nous châtions-nous à qui mieux-mieux ?

Nous ne portons pas de masques parce que « dura lex et pan-pan cul-cul », nous portons des masques de fer, parce que chacun de nous se sent pestiflore à l’autre ! Nous avons tous honte de nous voir tels que nous sommes devenus, nous avons peur de nous voir tels que ce monde nous a déchus, des petits lèche-vitraux : c’est ce cercle qui nous enferre… et nous avons peut-être honte de ce que nous avons laissé faire à notre roi, honte de ce que nous sommes devenus au bout du compte, de ces immondes sophismes qui n’ont fait qu’empirer, et peur d’être l’ « État », de devoir assumer ça, maintenant que nous avons décollé l’autre. Nous sentons bien que les lubies de Rousseau, de Robespierre, c’est pesant comme sac à dos… Alors nous préférons nous mettre aux fers nous-mêmes. C’est plus simple, ça a toujours été plus simple, pas besoin de remonter à Babylone…

Arrêtons-nous déjà à Mazarin… ces vilains autocrates n’avaient pas eu le culot de sanctifier l’orviétan – qui, soit dit en passant, n’a pas sauvé notre bon cardinal. Nos vieux paysans eussent-ils avalé de telles vessies ? Medice, cura te ipse… C’est vrai que la propagande est passée par là, Lénine, Mussolini… La nouvelle fâcherie mondiale : c’est un peu les masques plus la 5G… plus l’orviétan !

Et si nous étions tous, aujourd’hui, « citoyens » de je ne sais trop quoi, les doubles déchus et rebelles des vrais et fidèles sujets d’un roi… Si chacun de nous avait peur de voir son double, quelque part, au-delà de tout ça… alors, si c’était vrai, je me dis pourquoi pas… et je ne croirais pas notre roi de ce monde. Il y a de quoi rêver… même sur nos bêtises.

Pierre Lesergent, professeur de philosophie

Laisser un commentaire