Le lecteur de mon ouvrage Du pécule au capital mérite un avertissement, ou une mise en garde. C’est l’éclaircissement que je lui donne ici.
Du pécule au capital est le quatrième ouvrage que je publie aux éditions Kontre Kulture. Le premier portait sur le mariage et la crise de la famille en Occident. Le second était technique, en forme d’initiation au droit civil et au droit des sociétés, avec un passage sur la comptabilité en partie double. Le troisième sortait un peu de la ligne de cette série, puisqu’il portait sur le droit pénal international, le terrorisme et la politique. Le quatrième, récemment paru, se situe à l’intersection du premier ouvrage, il s’agit de famille, et du second, puisqu’il s’agit de points techniques en rapport aussi avec le droit des sociétés et la comptabilité.
J’y aborde des questions que j’ai effleurées dans les leçons 2, et en particulier j’approfondis les rapports entre la personne et la comptabilité. La tenue des comptes s’avère absolument centrale historiquement [1]. Sombart déjà avait dit que le capitalisme était inconcevable dans ses développements modernes sans l’invention de la partie double. En réalité, si l’on remonte le fil de l’histoire de la comptabilité, elle apparaît à l’origine de la civilisation, aux confins des premières écritures et des premiers calculs. Les premières lettres et les premiers chiffres servent à tenir des comptes. Mais avant d’aller plus loin je voudrais prendre les choses de plus haut et de plus loin concernant la genèse de ce travail.
Lorsque j’ai mis pour la première fois les pieds dans une fac de droit je ne savais pas ce qui m’y attendait. J’étais mu par un mélange de désœuvrement et de curiosité. Je voulais tâter des études supérieures, quelle que soit la discipline, m’étant d’ailleurs promis d’abandonner au bout du premier mois si ça n’accrochait pas. Trente-trois ans plus tard j’y suis toujours, et j’encourage tous ceux qui souffrent de notre crise de civilisation à s’y mettre aussi.
Le droit constitue avec la théologie l’une des plus vieilles sciences de l’Occident. Certes, il est présenté de manière superficielle dans l’enseignement, parce que le but des universités est de fournir du personnel d’État obéissant (policiers, magistrats, avocats, huissiers, liquidateurs etc.). Mais les juristes enseignants sont comme l’âne portant des reliques. À qui creuse un peu ou se trouve happé par l’expérience c’est un véritable trésor qui se découvre.
La France souffre de se « juridiciser » : tout devient matière à procès et la réglementation et les lois s’immiscent dans tous les détails de la vie, et pourtant, à regarder l’histoire, ce peuple s’est « dé-juristicisé » : l’esprit du droit l’a quitté, et c’est ce qui explique sa crise. La France a été un peuple juriste. Dès la réforme grégorienne les français sont sur le devant de la scène européenne. Ils ne la quittent que progressivement, après le XVIème siècle, et surtout durant le XIXème siècle (paradoxalement, leur code civil les isole de la civilisation du droit). 1945 est un coup de grâce et nous arrivons trop tard. Restent les livres, et leurs lecteurs et interprètes.
Le juriste est d’abord un spécialiste. Sa mission est de répondre aux questions qui se posent. Il est jugé sur sa capacité à résoudre les énigmes et les problèmes sources de conflits. Très tôt j’ai appliqué une méthode qui consistait à passer l’ensemble du droit au tamis, à la recherche de questions précises. Je cherchais les questions dont la résolution dépendait de la conception que l’on se faisait de la personne et de la place de la personne, de son pouvoir et de son autorité dans le groupe, et particulièrement dans la famille et dans le clan, car je pressentais l’importance primordiale de ces entités, de « ces faits sociaux », comme on dirait.
C’est ainsi que très tôt j’ai prêté attention à tout un réseau d’institutions qui ont en commun de poser le même type de problèmes. Ce sont des problèmes auxquels je me suis consacré dès mon entrée dans les études doctorales, il y a près de trois décennies. J’ai butté dessus durant mon parcours universitaires, jusqu’au beau milieu de ma thèse de droit. Mais aujourd’hui la liberté que m’autorise Égalité & Réconciliation et les éditions Kontre Kulture m’a permis d’oser aller plus loin que ne le permet le carcan académique.
C’est à ce problème qui mêle comptabilité et personnalité, pouvoir et responsabilité, qu’est donc consacré Du pécule au capital, le dernier volume de mes leçons. Je sais qu’il prendra sa place dans la littérature juridique duquel il est issu et sur laquelle il se fonde depuis Saleilles, Planiol et d’autres, jusqu’aux récents auteurs qui ont publié sur ces problèmes dans la Revue trimestrielle de droit civil (et même en me citant). Mais j’espère aussi qu’il servira à d’autres, débutants ou juristes en voie de formation, à s’affronter avec les questions séculaires de notre science et à investir par-là ce Royaume dévasté et aujourd’hui abandonné à l’Ennemi que constitue la science du droit.
Damien Viguier