Et soudain, né d’un bruit blanc (white-trash !)… une musique resserrée sur l’essentiel ! Hallucinations auditives ? Non, Cajun Tang ! Un mirage enraciné (roots en bon français) dans le désert culturel franc-maçon. Cajun Tang est un duo acoustique formé depuis 2017 sur l’île de la Réunion par Tedy Beer, chant-guitare, et Ely la Flask au violon.
Cette formation, une BAD (base d’autonomie durable) musicale à elle toute seule, donne le meilleur autant sous les ombrages d’un bananier tropical qu’au coin d’une rue provinciale sous domination tchétchène. Toujours avec l’essentiel : de vraies chansons afin de dire en français et aux Français les émotions que procure le spectacle du monde tel qu’il est, tel qu’il hait.
Selon Tedy, l’auteur :
« Ce programme devrait être évident au pays des Brassens, Brel, Mouloudji, ou du jeune Léo Ferré… »
Silence navré, puis il ajoute en riant :
« Oui… « devrait », car l’extention du domaine du conditionnel ne fait que commencer. Exemple entre mille : un député ne « devrait » pas se masturber en public (ou se mettre une bouteille de blanquette de Limoux dans le cul). Mais bon… nous, en bas, on a obligation de garder les masques, eux, en haut, ils enlèvent leurs strings cloutés pour s’aérer le plug anal… »
Un message intellectuel : « Tchak-boum ! Tchak-Boum ! »
Mais revenons à un sujet plus sain : Cajun Tang. Dans son genre – rien de queer ! –, la formation est unique au pays des chanteurs psychologues bisexuels et des baronnets pop au souffle débile. Cajun Tang ne donne pas dans le chant de marin, mais sa démarche provoque des périples imaginaires. Par exemple de l’océan Indien à la Nouvelle-Orléans, quand les chansons des équipages français étaient accompagnées par de grands rires enfantins et des rythmiques de chaînes enthousiastes échappées des cales.
Le groupe suit bien d’autre pistes : « J’aime la France quand elle est fait voyager » reconnait Tedy, « La France résistante, quoi… » Et là… Surprise ! Ely la Flask, le violoniste, un mutique à côté de qui Bernardo, le fidèle compagnon de Zorro, passerait pour Marcel Proust, Ely précise :
« Cajun Tang, c’est aussi le souffle qui a poussé le populaire français jusqu’au Québec, jusqu’en Acadie – là où le chanteur-biker Cayouche tient bon envers et contre tous. »
Et bien entendu, n’oublions pas la Louisiane, qui imprègne les chroniques du bayou que Tedy scande sur un « tchak-boum-tchak-boum » entêtant de guitare.
« Toi y’en a parler blanc-crasse ? »
La langue de Cajun Tang est un patois qui va droit au coeur des Gaulois réfractaires. Elle mèle la goualante des Apaches de la Butte-aux-Cailles aux hululements white-trash des Appalaches. Autant dire qu’il va falloir un peu de temps pour initier nos amis migrants à ces subtilités.
Avec nos deux bouseux réunionais, la chanson française traditionnelle s’élance au-dessus du pays réel. Elle vient de là, elle vient du blues des chaumières et des pavillons de chasse autant que de la plainte ancestrale des déportés francophones sous d’autres latitudes. « Nous aussi on a souffert, merde ! » Ce n’est pas du rabbin Maïmonide, c’est du Tedy Beer.
Dans le même mouvement de délivrance, Cajun Tang invoque le fantôme de Hank Williams, rallume la joie Western-Swing d’un Bob Wills and the Texas Play-Boys, anticipe le rockabilly délirant d’un Hasil Adkins et de bien d’autres « Blancs-Crasses ».
La réponse, mon ami, est dans le vent (des pétomanes invertis ?)
Les chansons et la musique de Cajun Tang sont forcément folk sans être folkloriques. Elles suivent les traces d’un Woody Guthrie ou d’un Pete Seeger, chantres contestataires en un temps où la gauche américaine, représentée par de rudes gaillards blancs et mariés, négociait à grands coups de clefs à molettes dans la gueule de chefaillons hargneux. C’était au temps où, en Europe, « Bruxelle brusselait », mais aux States c’était aussi le temps où des traine-misère, armés de leur seule voix et guitare, chroniquaient les jours de désastre pour des compagnons de dèche et leurs familles.
Notre époque fournit à Cajun Tang l’horreur de suffisamment de dégénérescences boboïsées, de branchitudes désaxées : le groupe n’a plus qu’à se faire sismographe de l’époque. Ils disent avec leur sensibilité qu’une fois encore les temps changent… Mais on est pas chez Bob Dylan… On est au temps des activistes sodomites, des oligarques cannibales et des sombres hordes intellectuellement abruties par les soleils conjugués du tribalisme et du capital.
Dépot de gerbe au Panthéon
Enfin il faut évoquer le mouvement country des outlaws, dont Adama Traoré n’était pas particulièrement fan. Initiée à la fin des sixties par Willie Nelson, cette mouvance artistique marquait une rupture avec le « système » autant qu’avec la prétendue « contre-culture » progressiste. Entrez ici, Johnny Cash, Merle Haggard, ou David Allan Coe avec votre terrible cortège de rednecks et de Gilets jaunes et faites le ménage !
Oui, Cajun Tang renoue avec les augustes mannes des « petits blancs » généreux qui ont tout inventé. Des patriotes un brin déjantés mais croyants, à la Elvis.
Cajun Tang c’est l’affirmation d’une fierté – white-trash lives matters ! Le message est simple : nous sommes toujours debout, prêts autant à tendre la main qu’à rendre les coups. Un combat, peut-être pas pour Berlin (trop de chiottes-à-la-turque), mais culturel, de notre temps : catch féminin dans la boue et dérapages éthyliques le samedi soir, méditations chrétiennes le dimanche.
Ah, et puis au fait, pensez-vous que dans la recette de ce gumbo il pourrait y avoir un peu de jazz manouche épicé d’accents yiddish ?
Ach, so ? Yiddish ? Du bist sûr, Günther ?
Jawohl, Hermann ! Démarre le Panzer, plein gaz, et mets Cajun Tang à fond dans l’autoradio !